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Michael Sean Strickland

Textworker

1266 — Lefebvre, H. (1976). De l’État. 2. De Hegel à Mao par Staline. (La théorie « marxiste » de l’état). Paris: Union Générale d’Éditions. 16 April 2021, Philadelphia.

« Dira-t-on que “l’homme”, la société, faits par le travail sont faits aussi pour le travail? Marx ne le dit pas. De Hegel il retient la triplicité : besoin-travail-jouissance. Usage et jouissance vont ensemble. Le travail engendre des activités multiples, liées à lui et différentes, les jeux par exemple et la création dite esthétique (l’art). Le travail a une finalité : la jouissance générale. Il a son sens en dehors de soi : l’espace social, le monde sensible façonné, les œuvres et la jouissance. Finalisé, il doit finir : dans et par la machine (automatique). La perspective de Marx ne se définit donc pas par l’exaltation du travail et du travailleur, à la manière des exégètes dogmatiques. Elle se définit par le dépérissement et la fin du travail, avec la montée de la machine et l’accroissement de la production (qui risque de mettre l’accent sur l’échange, dans le capitalisme, à tel point que l’usage dépérira lui aussi pendant cette même période). Donc : dépérissement et fin du travail, corrélatif selon Marx de plusieurs autres dépérissements et fins, dont celle de l’État. Le travail comme tel a commencé et finira, a dit Marx, qui affirme cette vérité historique de tout ce que produisit le temps historique. Né historiquement, le travail finira historiquement » (p. 93).

« Hegel qui expose une théorie métaphysique de l’aliénation laisse de côté — pour des raisons que l’on découvrira — l’aliénation politique. Qui en parle? Marx. La simple référence à l’aliénation politique évite le fétichisme de l’État, c’est-à-dire, le frisson sacré devant le “charisme” des puissants, et l’acceptation des représentations politiques, par lesquels l’État se légitime » (p. 120).

« Alors que l’aliénation, concept ou métaphore, poursuivait son trajet fulgurant dans le monde moderne, éveillant à la connaissance et à la conscience les conditions les plus diverses (rappelons : colonisés, opprimés, femmes, enfants, Noirs, adolescents et jeunes, sans compter les travailleurs) on a exigé le passeport philosophico-scientifique, la preuve du statut théorique. Monstrueuse et grossière pédanterie! Au lieu de reconnaître le fait pratique, le rôle du catalyseur tenu par cette figure, on la couche sur le lit de Procuste de l’épistémologie, pour lui couper les ailes et les pieds. Bien entendu, tous les gens que gênait la figure de l’aliénation suivirent en masse cette maffia du dogmatisme, en se prenant avec une extrême arrogance pour novateurs. On entrait en maîtres dans le royaume du conçu, on écartait le vécu parce que différent » (pp. 180–181).

« L’aliénation elle-même est complexe et entre de façon subtile dans ce mouvement. Le vécu est aliéné, puisqu’il lui manque ce qui permettrait le passage de la conscience obscure et déviée à la connaissance libératrice. Il se bloque, et la voie vers le possible se hérisse d’obstacles. Le possible se change en impossibilité. Quant au travail productif, loin de déployer ce qu’il permet — puissance intelligente sur la nature et les conditions naturelles, épanouissement et jouissance — il est aliénant et aliéné; le travailleur, saisi dans la division du travail, ne comprend même plus le processus dont il fit partie; il tombe, s’il ne résiste pas activement, dans la condition d’objet vendu (sinon lui en personne, du moins son temps de travail). La capacité créatrice se tourne contre l’activité et la réduit en asservissement » (p. 183).

« Marx n’a cependant jamais cessé de penser et d’affirmer que l’histoire de l’État résume les luttes pratiques dans les sociétés humaines depuis les origines, de même que l’histoire des religions condense les luttes théoriques. C’est dire qu’il n’y rien de plus important qu’une théorie de l’État comprenant son apparition et son histoire, sa formation et son extension. Second point : la théorie de l’État, avec celle de l’économie, ne peut qu’avoir un double aspect. Elle ne peut, sans tomber dans l’apologie et le fétichisme de l’étatique, consister en une simple rationalisation du processus générateur aveugle. La théorie de l’État comporte la critique radicale de l’État, comme celle du politique comporte la critique du politique et la théorie économique la critique de l’économie politique » (p. 213).

« Cette relative indépendance de l’ouvrier moderne hors du lieu de travail, Marx la connaît et la souligne. Elle distingue le prolétaire de l’esclave et permet la démocratie (une certaine démocratie) même dans les rapports et le mode de production capitalistes. Au cours de la formation du capital, pendant l’accumulation primitif, autrement dit pendant la genèse historique du mode de production capitaliste, la bourgeoisie naissante a eu perpétuellement besoin de l’État. Marx l’indique à maintes reprises. Pourquoi? Parce que les salaires n’ont échappé que lentement aux évaluations qualitatives, donc subjectives, tantôt du côté des travailleurs, tantôt du côté des détenteurs de l’argent. Pour “régler” les salaires, c’est-à-dire pour les faire entrer dans les chaînes et réseaux d’équivalences, il a fallu une doctrine, un droit, des jugements et des juges, des sanctions. De même pour assujettir les travailleurs aux disciplines de l’atelier et de l’entreprise, au travail. C’est là un moment essentiel de l’accumulation. Dans ce processus, l’État n’est pas indifférent et neutre par rapport aux classes. Depuis longtemps, on l’a vu (t. I), l’État se donne pour objectif la croissance, et cela pour accroître la masse fiscale (au début, bien entendu). Plus précisément, l’État (avant même l’État de la bourgeoisie) exerce une pression constante pour que le travail entre comme une marchandise dans les chaînes d’échange, c’est-à-dire dans la mesure des travaux par le temps de travail évalué en argent. Ceci non par une connaissance théorique du travail comme tel ou de l’équivalence comme telle, mais pragmatiquement, pour réduire résistances et différences, pour intégrer au marché les marchés locaux et les unités de production, etc. Au cours de ce vaste processus, l’État devient la mesure de la société et de “l’homme”. Il impose la mesure dans tous les domaines. Le système métrique symbolise et parachève cette maîtrise — cette mesure — du social par l’étatique » (pp. 229–231).

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