Michael Sean Strickland
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2020

1232 — Shalmani, A. (2019). Éloge du métèque. Paris: Grasset. 1 August 2020, Philadelphia.

« Le métèque est donc celui qui ne vit pas là où il est né, il n'est pas enraciné, le sang de ses ancêtres n'a pas coulé sur la terre où il vit, il est un étranger, un potentiel danger pour la cohésion nationale » (p. 20).

« On ne naît pas métèque, on le devient. C’est une évidence. Mais comment demeurer métèque? Comment préserver ce statu fragile, sans tomber dans les facilités confortables de l’origine glorifiée ou de l’assimilation sans mémoire? Le tempérament métèque, c’est l’impossibilité des limites et une curiosité sans fins. C’est aussi un art de la fugue et un jeu de masques. Le métèque ne peut pas se résumer à un visage, il est tous les visages qu’il croise et toutes les cultures qu’il côtoie. Le métèque est un survivant: tout bouleversement politique, toute crise économique peut le transformer en bouc émissaire. Les masques qu’il porte sont indispensables à sa sécurité comme à son bonheur. Le métèque, être bâtard et instable, trouve sa cohérence dans les masques » (pp. 37–38).

« Le masque de métèque me permet d’être présentable aux yeux des Autres, il aplanit mes aspérités, corrige mes imperfections nées de l’exil, révèle une harmonie qui n’existe plus en moi depuis longtemps.

« Si je suis devenue un monstre présentable, c’est que l’imaginaire m’a aidée à me fabriquer un masque, l’amour à me bâtir un temple, la foi à raconter des histoires. Le tempérament de métèque, c’est l’art du saltimbanque, le monde sa scène de théâtre, sa vie un création quotidienne » (p. 41).

« Ce monde-métèque apparaît dans l’œuvre d’un écrivain qui nous a offert le plus bel exemple de littérature métèque: en Romain Gary, l’homme, l’écrivain et l’œuvre se confondent, se répondent en écho, pensent l’un contre l’autre, l’un pour l’autre, à l’image du métèque » (p. 43).

« Romain Gary ou l’art de renaître, de ne jamais oublier l’humain derrière la montagne de couleur, de sang, de parure, d’intérêt. Gary écrivant en français, puis en anglais, traducteur de lui-même, passant d’une langue à une autre avec l’aisance d’un caméléon. Gary ou l’impossibilité de se réduire, l’incapacité à n’être qu’une voix, qu’une langue, qu’un pays, qu’un continent, qu’une inspiration, qu’une œuvre » (p. 45).

« Emmerder la littérature est le plus ancien hobby des Églises de toutes obédiences. Il faut reconnaître aux clergés de tout poil qu’ils ont le don de reconnaître des chefs-d’œuvre et la manie de vouloir les soustraire à l’humanité. Le verbe que les Églises détestent et combattent: transgresser. Et qu’est-ce que la littérature, si ce n’est l’art de la transgression? La littérature doit faire la nique aux bons sentiments. Sinon, elle n’est qu’un catéchisme ronronnant et rassurant » (p. 106).

« Le rire est libérateur, là où la haine est une prison où l’air se raréfie goutte à goutte. Les pères La Morale, les conservateurs, les tyrans préfèrent les hommes quand ils tremblent et craignent l’autorité. Quand ils haïssent un ennemi commun. Rire des institutions, des dominants, des riches, des salauds, des traîtres, des lois iniques, du pouvoir, mais aussi des pauvres, des indigents, des humanistes, des héros, des belles idées, des commémorations, de la mort, rire devant tout ce qui s’érige avec sérieux et respect, c’est la marque d’une bonne santé mentale, et de la bonne tenue d’une démocratie » (p. 129).

« Le métèque, monstrueux mixte d’ingrédients antagonistes, doit écrire sa propre partition et fabriquer sa propre morale. Il ne peut se tenir dans les strictes limites des règles admises: ce sont ces mêmes règles qui ont fait de lui un métèque. Il ne peut se restreindre: il est trop chaotique. Il ne peut pas se limiter: il est incapable de déterminer des frontières. Le métèque sait que tout est mouvant, instable, et il ne peut se rattacher qu’à une seule chose: une idée qui ne le trahira pas, un idéal vers quoi tendre: la liberté. Et où la liberté peut-elle le mieux s’épanouir, être le plus en sécurité, si ce n’est dans l’acte de créer? C’est là que se trouve sa vocation, là que peut exister une certaine idée de bonheur, là où il est possible de s’accrocher sans craindre que la branche cède » (pp. 130–131).

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